Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage
Chemin de création
Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage
Voici le texte du discours de Matthieu Amiguet lors du vernissage du Rapport #10:
Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage
Polissez-le sans cesse et le repolissez;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.
Dans ce monde où la vitesse est érigée en qualité ultime, où l'on confie à une machine le soin d'écrire à ses collègues ou amis afin d'avoir le temps de lire ce qu'ils ont fait écrire pour nous par une machine, il peut être bon de se remémorer ces vers que Boileau a écrit en 1674.
En cette période où la grande histoire gronde dans un lointain pas si lointain, nous faisons ici le pari de nous intéresser à la "petite histoire", celles des gens, celle du proche. Vous trouverez dans cette nouvelle édition du Rapport des récits de rencontres, d'ici et de maintenant.
Bien sûr, la petite et la grande histoire se tissent continuellement, et si l'Histoire avec un grand H fournit le fil de chaîne, tout s'effilocherait sans les fils de trame: les gens, le quotidien qui slaloment et relient en un dense réseau de chemins de traverse.
Parfois on s'en passerait: ainsi du nouvel éclairage amené par l'actualité récente sur l'article où Ahmad Motalaei relate ses souvenirs d'enfance dans un Ispahan bombardé. Mais c'est là aussi, et surtout, qu'il faut prendre soin du proche, de la trame qui relie, des traverses. Une pensée toute spéciale donc pour ceux qui gravitent autour de nos chemins et qui sont touchés de près par la brûlante actualité: Ahmad bien sûr, mais aussi Laurent et Fatemeh, Gaëlle, Zara et bien d'autres.
Parfois les grands courants sont plus réjouissants: dans à peine plus de deux semaines, une petite équipe se rendant à Prague pour présenter dans un congrès les récentes recherches développées ici même autour de la lutherie augmentée, une petite équipe, donc, traversera la frontière Tchèque à vélo électrique. Presque inimaginable dans mon enfance, ce franchissement du rideau de fer se réduira sans doute aujourd'hui à une simple formalité.
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage
Polissez-le sans cesse et le repolissez;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.
Aux Chemins de Traverse, nous croyons aux vertus du temps. Développer en profondeur une vraie démarche artistique prend du temps et se déroule sur des années. Dans ce monde où la vitesse est érigée en qualité ultime, c'est un fait souvent difficile à faire comprendre aux financeurs. La situation, de tous temps délicate, est devenue critique avec les suites des mesures COVID. Les budgets se resserrent et l'accès au soutien devient de plus en plus ardu. Les ressources financières et forces de travail sont serrées, trop serrées, et la mise sur pied d'évènements comme celui de ce jour tient de l'exercice d'équilibrisme.
Dans ce contexte, il est important de remercier La Ville de Neuchâtel, dont le soutien continu nous permet de juste rester à flot; les membres amis de l'Association qui par leur don soutiennent autant nos finances que notre moral; enfin et surtout les artistes qui acceptent de n'être payés qu'une toute petite partie de ce que vaut leur travail et forment ainsi, et de loin, les plus gros donateurs.
Mais ne l'oublions pas
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage
Boileau le fait rimer avec
Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage
Voici plus de 25 ans que nous nous hâtons lentement, dont 15 ans avec une activité de recherche autour de la lutherie augmentée. Les tempêtes se succèdent, mais nous sommes toujours là, et fier de vous présenter des reflets de notre travail ces deux dernières années. Nous vous racontons comment notre activité d'artisans-musiciens tisse la trame d'un tissu artistique et social qui, de concert avec des milliers d'autres comme nous, solidifie la société pour lui permettre de ne pas se déchirer. Merci donc d'être là, ici, maintenant, avec nous, et bonne lecture!